Délaissée par les PME, l’intelligence économique est pourtant un outil stratégique décisif dans un contexte de compétition intense. Une pratique qui permet de mieux connaître son environnement concurrentiel, mais aussi de protéger son savoir-faire, les petites entreprises étant des cibles aussi dignes d’intérêt que les grands comptes. Pour y accéder, de nombreuses solutions existent, publiques, parapubliques ou privées. Des outils et méthodes peu coûteuses grâce à Internet notamment – permettent également de mettre facilement en place des actions d’intelligence économique en interne.
Par Laurène Rimondi
Collecte, analyse, protection et diffusion d’informations, l’intelligence économique permet d’anticiper et d’analyser les tendances du secteur d’activité de l’entreprise. Confiée à un prestataire ou pratiquée en interne, elle se caractérise par la production structurée de connaissances afin de permettre aux entreprises de maîtriser leur environnement. En plaçant l’information au cœur de la stratégie, elle donne des outils pour prendre des décisions et augmenter les profits. Une opportunité pour s’emparer du leadership sur un marché. “Par les connaissances acquises, certaines entreprises, et notamment des PME, parviennent à racheter des entreprises, développer de nouveaux services, et finalement, à transformer leur marché”, constate Damien Barthélémy, directeur général de Creditsafe.
Un avantage compétitif, pourtant délaissé par les PME. “Environ 20 % des petites entreprises pratiquent l’intelligence économique. 40 % d’entre elles font de la veille, c’est-à-dire qu’elles surveillent la concurrence et la clientèle, mais s’arrêtent là”, observe Sophie Larivet, enseignante-chercheuse et consultante, auteur du livre ‘Intelligence économique’ : enquête dans 100 PME’. Or, l’intelligence économique telle qu’elle est définie par la politique publique actuelle repose sur trois piliers : la collecte d’informations, mais aussi la protection des données et l’influence.
Mais dans les PME, les réticences sont nombreuses. En premier lieu, les dirigeants ont tendance à penser que cette pratique est coûteuse, donc réservée aux grands comptes. Les craintes sont aussi liées à sa mise en œuvre. Certaines entreprises redoutent en effet d’ouvrir leur base de données à un prestataire. Autre écueil : les outils proposés ne sont pas toujours faciles d’accès, en particulier pour des collaborateurs qui ne disposent pas de l’expertise appropriée. Sans oublier que cette démarche demande aussi de s’impliquer sur la durée pour être efficace. “Petit à petit, les freins tombent néanmoins, il y a une prise de conscience de l’importance stratégique de l’intelligence économique”, explique Damien Barthélémy.
Utile ou indispensable ?
Le problème est aussi culturel, lié à l’idée qu’une telle pratique n’est pas utile. “Le terme même d’intelligence économique n’est pas toujours bien appréhendé et prête à confusion. Il a été préféré à ‘renseignement économique’ pour traduire le terme anglais de ‘competitive intelligence’. Un choix lié à la mauvaise image des renseignements en France”, note Sophie Larivet. A contrario, les sociétés anglo-saxonnes, scandinaves ou belges sont davantage persuadées de son importance, et certaines n’hésitent pas à se donner les moyens nécessaires. “C’est l’attitude du chef d’entreprise qui est déterminante dans la réussite d’une telle démarche”, ajoute-t-elle.
“L’intelligence économique est une notion protéiforme qui peut apparaître comme floue, voire conceptuelle. Il n’en est rien, bien au contraire. Elle concerne toutes les entreprises qui se trouvent dans un marché concurrentiel et recouvre tout ce qui fait l’identité et le savoir-faire d’une entreprise, y compris dans ses relations avec ses fournisseurs, sous-traitants et partenaires, ce que l’on qualifie maladroitement de ‘secret des affaires’. Une autre formulation serait la bienvenue”, analyse pour sa part Michel Poupon, vice-président de la Compagnie nationale des conseils en propriété industrielle (CNCPI).
Jeune, la discipline est née en France à la fin des années 80, avant de voir son développement s’accélérer en 1994 avec le premier rapport écrit sur le sujet par Henri Martre, qui a été suivi par la création d’un Comité pour la compétitivité et la sécurité économique (CCSE). Au fil des ans, l’action publique s’élabore. En 2009, un délégué interministériel à l’intelligence économique est chargé d’élaborer la politique de l’État dans ce domaine. Si la volonté publique se montre vigoureuse (cf. encadré), le déclic a été plus lent du côté du privé. “Pendant des années, de nombreux chefs d’entreprise, notamment dans les PME, pensaient qu’ils pouvaient comprendre leur environnement grâce à une connaissance historique du marché. Mais dans un contexte de globalisation, les attaques viennent de partout, en particulier de l’étranger. Depuis 3 ans, nous observons une prise de conscience de la part des dirigeants”, note Olivier Lenormand, PDG du groupe SVP.
Le prix de l’information
Avant de mettre en place une telle démarche au sein de l’entreprise, la première question qui s’impose est celle du coût. Si certains prestataires proposent des tarifs d’entrée de gamme de quelques centaines d’euros, les premiers prix se situent généralement autour de quelques milliers d’euros par an. “Le retour sur investissement est difficile à chiffrer. Il est plus facile de valoriser une marque ou un brevet acquis grâce à la veille d’information”, note Frédéric Martinet, fondateur d’Actulligence Consulting et du site actulligence. com. Cette problématique peut aussi être abordée sous l’angle du coût d’opportunité. Les exemples liés à l’insuffisance d’information et qui impactent les profits de l’entreprise sont nombreux. “La pratique de la veille économique permet aux entreprises d’évaluer le risque de faire face à des impayés de la part de ses clients, d’identifier des zones de chalandise, mais aussi de ne pas manquer un appel d’offres, de remarquer l’extension géographique d’un concurrent ou d’anticiper la défaillance d’un fournisseur”, note Damien Barthélémy.
Acteurs publics, parapublics ou privés, différents canaux permettent d’accéder à l’intelligence économique mais aussi de bénéficier d’économies d’échelles. Idéales pour mettre le pied à l’étrier, les chambres du commerce et de l’industrie (CCI) possèdent un interlocuteur dédié, en lien avec la politique publique mise en place dans le domaine. “En plus de la sensibilisation au sujet, elles pratiquent des diagnostics et formations à destination des entreprises”, observe Sophie Larivet. Les pôles de compétitivité et les syndicats professionnels proposent également des services mutualisés de veille économique, dédiés à un secteur d’activité. En fonction des pratiques, certaines sociétés préférèrent avoir recours aux experts-comptables, qui ont aussi développé des outils de veille économique. Et si beaucoup l’ignorent, la police, la gendarmerie et les services secrets de la DGSI pratiquent des diagnostics ainsi que des enquêtes en cas d’espionnage. Pour être efficace, l’intelligence doit cependant être centralisée.
Une mise en œuvre, trois étapes
Déléguée à un salarié en interne ou confiée à un prestataire en externe, la mise en œuvre d’une telle démarche doit partir d’une volonté forte de la part des dirigeants. La première démarche est de cibler les données à collecter et définir quelle information possède une valeur économique. Informations liées à la concurrence – produits, partenaires, approche marketing, etc. –, mais aussi veille juridique ou technologique, ces données doivent être hiérarchisées en fonction des orientations stratégiques de l’entreprise. “Notre première démarche est d’exploiter l’information présente en interne. Les entreprises ont souvent entre leurs mains une véritable mine d’or à l’état brut, qui n’est ni structurée, ni accessible par les bonnes personnes”, précise Frédéric Martinet. La veille d’information est une démarche facile à mettre en place en interne.
Terrain de chasse idéal, Internet permet d’accéder à de nombreuses informations concernant les produits concurrents, mais aussi aux communications ou aux profils des salariés ces entreprises. Presse professionnelle, alertes Google, outils d’alerte en cas de changement de site Web, certains mécanismes sont faciles à mettre en place. “Parfois, il suffit d’être rusé et d’observer, même physiquement, une entreprise concurrente, comme les allées et venues sur un parking. Ou simplement de s’abonner à une bibliothèque ou une école de commerce pour avoir accès à l’ensemble de la presse liée à un secteur”, rappelle Sophie Larivet. À ne pas négliger également, les contacts réguliers avec les personnes constitutives d’un réseau professionnel. Organisations professionnelles, salons, conférences, retours d’expérience, etc., sont autant de moyens de partir à la pêche aux informations.
Pour en tirer profit, cette base de données doit être traitée intelligemment. Production structurée de connaissances, la veille économique doit donner lieu à des synthèses permettant d’extraire les évolutions et grandes tendances du secteur, mises en perspective avec la stratégie de l’entreprise. Afin de traiter et classer ces informations, certains outils de veille sont accessibles gratuitement, d’autres, plus élaborés, étant payants. Les données doivent aussi être régulièrement actualisées.
Deuxième étape, et pas des moindres, si les données de la concurrence sont facilement accessibles, le patrimoine intellectuel de la société doit également être protégé. Dans cette perspective, la sécurisation des informations sensibles est donc un point clé de l’intelligence économique. “Les PME sont très exposées, elles représentent 50 % des intrusions détectées. À 80 %, la sécurité économique est pourtant liée à des comportements humains. Il est surprenant de constater qu’il suffit parfois de flatter un chef d’entreprise dans le train pour obtenir des informations qui ont de la valeur”, affirme Sophie Larivet. Facilement accessible, la sécurité économique repose sur des gestes simples.
Sensibiliser ses collaborateurs, verrouiller ses accès à l’aide de mots de passe, ou encore mettre en place des clauses de confidentialité avec les salariés et les partenaires, constituent de solides garanties. “Il n’est cependant pas nécessairement conseillé de déposer certains éléments de procédé dès lors que leur mise en œuvre n’est pas évidente à la simple vue du produit final. On aurait alors divulgué et mis à la disposition du public un élément de procédé dont le brevet ne saurait être aisément mis en œuvre. Le secret est un choix d’entreprise qu’il faut bien entendu organiser et verrouiller”, recommande Michel Poupon.
Plus délicate à mettre en place, l’influence sur le secteur d’activité est pourtant un élément clé pour optimiser une démarche d’intelligence économique. Auprès des clients, des institutions, des organisations professionnelles et du grand public, la diffusion de l’information doit être maîtrisée. Si le lobbying est difficilement accessible aux PME, il existe pourtant des moyens de se faire entendre auprès de Bruxelles lorsque les intérêts d’un secteur sont menacés par une réglementation, en se rapprochant notamment des syndicats professionnels. “Les PME peuvent aussi contacter leurs élus locaux qui sont en lien avec les députés. Si elles parviennent à les convaincre que des emplois sont en jeu, elles pourront se faire entendre. Se regrouper avec d’autres professionnels permet de peser plus lourd dans la balance”, conclut Sophie Larivet.