Un pays en développement qui découvre des réserves de pétrole sur son territoire ne peut que réfléchir à la manière idoine d’en tirer le meilleur profit. Pour autant, l’adoption d’une stratégie ou d’une politique par un gouvernement ne conduit pas ipso facto au succès escompté. L’intelligence stratégique africaine veille sur les facteurs permettant d’éviter la malédiction de l’or noir.
Pour le Centre africain de veille et d’intelligence économique (CAVIE), berceau de l’authentique intelligence stratégique africaine, le chaos démarre lorsque, sensé produire de la croissance, le pétrole vient à la plomber dans une économie aussi prometteuse que celle du Sénégal. Pour contourner ce risque, l’intelligence stratégique et pétrolière sert à surveiller les facteurs qui, s’ils venaient à dégénérer, plongeraient le pays dans la malédiction de l’or noir.
Comment embarquer les parties prenantes dans la dynamique ?
Lorsqu’à l’instar du Sénégal, un Etat identifie des réserves de pétrole sur le territoire national, il est logique qu’il réfléchisse à la meilleure manière d’en tirer les revenus les plus élevés. Mais parce qu’une stratégie ou une politique ne conduit pas automatiquement au succès, il est judicieux d’impliquer d’emblée les parties prenantes dans une dynamique d’intelligence collective.
De nombreux facteurs peuvent, en effet, influencer la valeur du pétrole. Ils vont de la qualité de la gouvernance aux fluctuations des prix du baril, en passant par la pertinence du système fiscal retenu, le nombre de puits existants, un haut niveau de corruption ou l’insuffisance de professionnels locaux qualifiés. La malédiction survient lorsque, sensé produire de la croissance, le pétrole vient à la plomber dans une économie aussi prometteuse que celle du Sénégal.
Entre 2014 et 2018, le pays a enregistré une croissance annuelle au-delà des 6 %. De 6,2% en 2018, elle a chuté à 4,4% en 2019, s’est enfoncé à 0,87% en 2020 du fait de la crise du Covid-19, avant de rebondir à 5% l’année suivante.
Pourquoi Dakar devra poursuivre ses réformes structurelles ?
En 2021, l’économie sénégalaise a retrouvé sa trajectoire de croissance d’avant la pandémie du Covid-19, grâce à la vigueur de la production industrielle et du secteur des services, selon le Fonds monétaire international.
En 2022, la réduction du déficit budgétaire devrait s’accentuer grâce aux recettes supplémentaires générées par l’exploitation des gisements d’hydrocarbures à partir de 2023, lesquelles vont élargir l’assiette fiscale.
Pour accroître sa robustesse économique, Dakar devra poursuivre ses réformes structurelles, en particulier la préparation d’un cadre budgétaire régissant l’utilisation des recettes tirées des hydrocarbures en vue d’une juste répartition.
Mais si la production du pétrole et du gaz venait à porter la croissance à 9,5% en 2023, voire à 10,3% en 2024, selon les estimations, force est de signaler que sans la poursuite des réformes attendues, cette poussée pourrait vite retomber.
Qui pour assurer le traitement approfondi des axes prioritaires ?
Adossé à des études scientifiques de premier ordre, à des retours d’expérience solidement documentés et à des analyses comparées entre pays pétroliers, le colloque international qu’organise CAVIE le 02 juin 2022 à Dakar vise précisément à éloigner du Sénégal l’éventualité d’une malédiction de l’or noir.
Cette dernière est l’association de la faiblesse institutionnelle, de la volatilité des prix du pétrole, de la pression sur les secteurs agricole et manufacturier, du développement des inégalités et des effets dissuasifs de la fiscalité qui peuvent provoquer l’effondrement de la croissance économique la plus robuste.
Avec ses 17 millions d’habitants dont 25% vivent dans la région de Dakar, le Sénégal est surtout connu pour sa stabilité politique. Depuis son indépendance en 1960, le pays a connu trois alternances politiques, toutes pacifiques. Lui éviter la malédiction de l’or noir passe par le traitement approfondi de ces points prioritaires, lesquels constituent l’ossature de ce colloque international.
Le premier point « Renforcer les performances des institutions en charge de la gestion des ressources pétrolières » sera l’occasion d’expliquer pourquoi la malédiction des ressources est plus un problème institutionnel qu’économique. Il proposera des solutions concrètes pour résoudre à court et moyen termes la crise des ressources qualifiées dont a besoin l’industrie pétrolière locale.
Par quels moyens surveiller et anticiper la volatilité des cours du pétrole ?
Le second point « Surveiller et anticiper la volatilité des cours du pétrole à l’international » permettra de démontrer, grâce à des modèles éprouvés, comment il est possible de surveiller et d’anticiper la volatilité des prix afin d’en minimiser les effets négatifs sur la maîtrise de la discipline budgétaire, l’investissement réel, la répartition des revenus et la lutte contre la pauvreté.
Le troisième point « Diminuer la pression sur l’agriculture, la manufacture et la fiscalité » vise principalement à décrire et à éviter le « syndrome hollandais » par la diversification économique. Il présentera des méthodes et outils orientés vers un soutien politique plus accru aux activités économiques les moins compétitives du Sénégal.
Le quatrième point « lutter contre les inégalités économiques, sociales et environnementales » mettra en évidence les principales inégalités observées au sein des pays exportateurs de pétrole. Dans le cas du Sénégal, les intervenants mettront en évidence les causes, les conséquences, les responsables et les idées d’amélioration pratiques.
Au surplus, le Sénégal devra affronter et gérer le déploiement progressif des politiques de transition énergétique au niveau local et dans la plupart des grands pays importateurs de pétrole. Selon l’Agence internationale de l’énergie, la demande mondiale de pétrole devrait diminuer d’environ 20 millions de barils par jour jusqu’en 2040. D’où la nécessité de se transformer habilement par le pétrole en sachant que l’avenir se fera sans (ou contre) lui.
Guy Gweth est le président en exercice du CAVIE. Également directeur des Bureaux extérieurs de l’Association fédérale des PME allemandes (BVMW) au Bénin, au Cameroun, au Gabon et au Togo, il est le fondateur de Knowdys Consulting Group (KCG) et le responsable du programme « Doing Business in Africa » à Centrale Supélec et à l’Emlyon depuis 2012.