Dr Guy Gweth : « Comment l’Afrique peut combiner hard, smart et soft power »
[ACCI-CAVIE] Dans cette interview exclusive à Camer.be, président du Centre africain de veille et d’intelligence économique applique la quête de puissance à un pays en développement. Dans un entretien à bâtons rompus, Dr Guy Gweth indique pourquoi l’Afrique est mûre pour combiner le hard power, le soft power et le smart power, en s’appuyant sur #Puissance237 qu’il pilote pour l’Etat du Cameroun.
Dr Guy Gweth : Puissance237 ou la stratégie de puissance régionale du Cameroun est importante à plus d’un titre. Pour ne prendre que le cas du commerce qui nous a réunis ces derniers jours, Puissance237 vise notamment à réduire notre dépendance vis-à-vis des marchés étrangers, à diversifier notre économie, à accroître notre pouvoir de négociation, à renforcer la sécurité nationale et à améliorer l’image du Cameroun. La lutte contre l’inflation structurelle est certes un défi majeur pour notre pays, mais il est possible de construire une stratégie de puissance régionale dans un tel contexte.
D’ailleurs, à ce stade de la Consultation nationale, les analyses du Centre africain de veille et d’intelligence économique (CAVIE) montrent que la lutte contre l’inflation structurelle passe par l’adoption de mesures concrètes et innovantes pour réduire les déficits budgétaires, augmenter la production agricole, améliorer la compétitivité des entreprises locales, investir dans le développement de ses infrastructures et du capital humain local en vue de stimuler la croissance économique et doper la création d’emplois.
Preuve, s’il en était besoin que la construction d’une stratégie de puissance régionale doit être un processus participatif et inclusif, le CAVIE consulte toutes les parties prenantes, secteur privé et monde associatif compris. Enfin, précisons, pour toutes fins utiles, que Puissance237 est un projet long qui se donne jusqu’en 2035 pour hisser le Cameroun sur le toit de l’Afrique avec l’idée qu’à défaut d’atteindre la lune, le pays retombera au moins sur les étoiles.
Vous avez convié la presse le 16 janvier dernier pour définir les perspectives d’influence au niveau africain. Quel regard portez-vous à la presse actuelle au Cameroun que l’on dit être précarisée ?
Si vous voulez les premiers constats établis par cette Consultation nationale au niveau des médias, je vous répondrai sans ambages que la presse camerounaise est confrontée à de nombreux défis, dont l’un des principaux est la précarité à laquelle vous faites référence. Elle constitue un problème majeur qui affecte l’indépendance et la qualité de l’information diffusée.
Ensuite, il y a le manque de liberté et de professionnalisme. Le manque de professionnalisme se traduit par des insuffisances dans la formation des journalistes, un déficit de rigueur dans le traitement de l’information et une absence de vérification systématique des faits que l’on présente au public.
Il faut y ajouter l’ingérence politique qui limite la liberté de la presse et le droit à l’information. Tout cela fait que nos médias ne jouent pas encore pleinement leur rôle de quatrième pouvoir et de contre-pouvoir. Or pour être une puissance régionale, il faut une presse en phase avec la volonté de puissance.
Au-delà de ces constats alarmants, force est de constater que, de manière générale, le Cameroun dispose de nombreux journalistes talentueux, consciencieux et courageux qui font un travail important d’information et de sensibilisation au quotidien. C’est eux qui font de notre presse un acteur important de la démocratie et un levier de puissance pour le Cameroun.
Est-ce que la question de la veille et de l’intelligence économique passera forcément par cette stratégie de puissance régionale au Cameroun ?
Sachez que face à l’exacerbation de la compétition dans l’ordre international, la veille et l’intelligence économique (IE) sont aussi bien des armes de survie que de puissance. Elles aident à comprendre rapidement l’environnement national et international, à identifier les menaces et opportunités, à anticiper les changements et les crises. L’IE aide à déterminer les priorités et les actions à mener pour accroître la compétitivité du Cameroun, à mettre en œuvre des politiques publiques efficaces et à protéger les intérêts de notre pays.
Bien qu’il ne dispose pas encore d’une politique publique claire en matière de veille et d’intelligence économique, le Cameroun héberge tout de même le Centre africain de veille et d’intelligence économique. Le pays bénéficie de son expertise, par exemple, pour la construction de Puissance237. Pour autant, il reste encore beaucoup à faire. Le Cameroun doit renforcer ses capacités de collecte et d’analyse de l’information économique, développer une culture de l’IE au sein des administrations publiques et des entreprises et mettre en place un dispositif national de veille et d’intelligence économique et stratégique.
En clair, la veille et l’intelligence économique sont des outils incontournables pour la construction d’une stratégie de puissance au Cameroun. Et parce qu’elles précèdent la puissance, une stratégie dédiée ne peut que favoriser une meilleure insertion de la veille et de l’intelligence économique dans le débat public, les politiques publiques, le dialogue public-privé et l’éducation.
Pensez-vous que l’ordre gouvernant au Cameroun peut être attentif à cette stratégie ?
L’attention du gouvernement à une stratégie de puissance pilotée par le CAVIE est garantie par l’implication des pouvoirs publics. C’est l’implémentation totale de ses recommandations qu’il va falloir surveiller. Je rappelle que l’Etat du Cameroun a déjà exprimé son intérêt pour la question de la puissance dans le cadre de la SND30. Le CAVIE étant un centre d’expertise reconnu, ses travaux sur la veille et l’intelligence économique étant appréciés par les décideurs, la Consultation qu’elle pilote ne peut que retenir leur attention.
Cependant, il existe des obstacles potentiels et non négligeables. Parmi eux, il y a la résistance au changement. La mise en œuvre d’une stratégie de puissance peut perturber les intérêts établis et rencontrer des résistances. Nous l’anticipons. Il y a également la méfiance que pourraient nourrir certains acteurs de voir dans Puissance237 une menace à leurs intérêts. Nous faisons œuvre de pédagogie. Ces risques mis bout à bout, il apparaitrait clairement que le succès de cette co-construction dépendra de la capacité des lobbyistes du CAVIE à convaincre les parties prenantes de l’extrême utilité d’une stratégie de puissance dans un contexte mondial d’hyper compétition.
Vous parlez trop souvent de hard power, de soft power et de smart power. Pouvez-vous simplifier la compréhension de ces concepts et nous dire comment l’Afrique peut les domestiquer pour se positionner aussi dans le concert des nations du monde où les grandes puissances dictent leurs lois et contraignent les autres à les suivre ?
Vu du Centre africain de veille et d’intelligence économique, le hard power est la capacité d’un pays à influencer les autres par la force militaire, économique ou technologique. L’Afrique peut développer son hard power en renforçant ses forces armées, son industrie, son économie et ses infrastructures.
Le CAVIE voit dans le soft power la capacité à influencer par son attractivité culturelle, ses valeurs et ses idées. L’Afrique peut cultiver son soft power en faisant, avec conviction, la promotion de sa culture, de ses valeurs et de ses idées à travers le monde. Notre continent a un grand potentiel de soft power. Sa riche culture, sa solidarité intrinsèque et son dynamisme démographique peuvent permettre de gagner en influence sur la scène internationale.
Enfin, le CAVIE intègre dans le smart power la combinaison intelligente du hard power et du soft power pour maximiser l’influence d’une entité. Plus que jamais, l’Afrique est en situation de combiner hard power et soft power pour maximiser son influence et faire entendre davantage sa voix dans le concert des nations.
*Guy Gweth est docteur en Affaires publiques, spécialiste de l’intelligence économique et stratégique. Ancien de l’Ecole de guerre économique de Paris, il dirige le Programme Doing Business in Africa à Centrale Supélec et l’EM Business School de Lyon depuis 12 ans. Fondateur de Knowdys Consulting Group, il est le président en exercice du Centre africain de veille et d’intelligence économique (CAVIE). Auteur d’une demi-douzaine d’ouvrages, il est le pilote de la Consultation nationale inclusive Puissance237.